jeudi 17 avril 2008

Aimé Césaire une vie de poète, une vie de combattant (17.04.2008)























Aujourd’hui je salue et je pleure l’homme qui à travers sa « fierté d’être noir » a su relever l’homme Noir à son rang humain. Le petit père du peuple m’a aidé par sa poésie et son profond humanisme à me lever et me défaire de mon esclavage mental. De Césaire il s’agit.

L’homme libre et libérateur, l’homme qui m’a bouleversé par la vérité de sa poésie et de son discours. Son aboutissement aura été pour moi celui d’un homme qui a remis à l’ordre du jour la dignité et l’authenticité de la civilisation noire. Je comprends aujourd’hui que la « négritude » c’est être débout et libre. C’est une expression d’espoir en l’homme par le voyage qu’il nous amène à faire à l’intérieur de notre conscience.

Il s’est investi d’une mission, celle de radier dans l’esprit nègre, la hiérarchie du colonisateur. La mythologie du colonisateur qui consiste à enfermer le nègre dans une « réalité de caste castratrice dont le Blanc se trouve en haut et le Noir tout en bas. Et lui rendre sa dignité car l’occident a profané la civilisation nègre, a manipulé son esprit à telle point que le Noir a fini par se haïr lui- même.

Aimé Césaire est cet homme dont je retiendrai … :

« Il faut que nous nègres, nous qui avons tant subit l’histoire, il faut aussi que nous fassions l’histoire. Cela veut dire agir, cela signifie apposer son histoire, apposer son empreinte, son sceaux ; l’empreinte d’un homme, l’empreinte d’un peuple, l’empreinte d’une culture sur la civilisation et sur le monde… — démoniaque n’est-ce pas ? Grandiloquent! Eh bien il y a aussi de ça en moi ! »

Aimé Césaire incarne une force révolutionnaire qui a révolutionné les Noirs contemporains et en particulier le nègre que je suis. Ce qui me touche dans sa poésie c’est que c’est un homme de liberté et de combat, un homme d’espoir. Un véritable alchimiste de la langue. Il arrive à dire poétiquement la vérité des choses dans leur dénuement. Un homme qui a su exprimer avec fulgurance des propos très profonds sur notre humanité.


À lire sur Présence africaine

« Une saison au Congo »

« Une tempête »


--------------------------------------------------------------------

À lire sur Présence africaine

« Une saison au Congo »

« Une tempête »

-------------------------------------------------
Aimé Césaire, précurseur, écrivain, poète, homme politique, inventeur du concept de « Négritude »



pour lire plus consultez: http://aime-cesaire.blogspot.com






Aimé Fernand Césaire est né le 26 juin 1913 à Basse pointe en Martinique. Le jeune Aimé est issu d’une famille de six frères et sœurs. Son grand-père est le premier Noir enseignant en Martinique, sa grand-mère de façon inhabituelle pour une femme de sa génération, savait lire et écrire et apprit à ses petits enfants à lire très tôt.

La famille d'Aimé Césaire, notamment son père, attache une grande importance à l'éducation et il n'est pas étonnant que le jeune Aimé Césaire se montre brillant élève. Il obtient une bourse pour le lycée Schoelcher qui est alors le seul lycée dans toutes les colonies françaises de la Caraïbe. Il y fréquente entre autres Léon Gontran Damas et Auguste Boucolon (frère aîné de Maryse Condé).


Avec des prix d’excellence en français, anglais, latin et histoire, Césaire est le meilleur élève de sa classe et obtient une nouvelle bourse pour le lycée Louis-Le-Grand, où il préparera le concours d’entrée a la prestigieuse école normale supérieure. Il se destine alors à l’enseignement.

Césaire arrive à Paris en 1931, au lycée Louis-Le-Grand. Son arrivée en métropole constitue un choc pour lui puisqu’il réalise qu’il n’est pas considéré comme un égal. Dans sa Martinique natale, la langue utilisée à la maison était le français, et à l’école le classique refrain « nos ancêtres les gaulois » était enseigné. A Paris, il est considéré au mieux comme un Noir (donc inférieur), ou au pire comme un sauvage. Les principes assimilationnistes selon lesquels il a vécu en Martinique volent en éclat.


Mais le séjour parisien de Césaire marque aussi la rencontre avec Leopold Sedar Senghor, un jeune étudiant africain âgé de 25 ans, en provenance du Sénégal (Senghor sera le premier président du Sénégal nouvellement indépendant en 1960). Césaire dira plus tard qu’en rencontrant Senghor, il a rencontré l’Afrique, et a perçu d’une nouvelle façon ce continent pourtant déclaré irrémédiablement sauvage.


Césaire et Senghor deviennent très proches, sont influencés par les écrivains noirs américains de la « Harlem Renaissance » comme Langston Hughes, Claude Mc Kay, Countee Cullen et d’autres. Ils s’intéressent également aux travaux d’anthropologistes tels que Léo Frobenius ou Maurice Delafosse, qui leurs semblent moins hostiles et moins méprisants vis à vis des cultures africaines.


Les deux étudiants, sont également vivement concernés par les débats sur leur identité, cherchent à savoir qui ils sont. Ces questionnements feront de Césaire, de Senghor ainsi que d’un de leurs camarades, le guyanais Léon Gontran Damas, les inventeurs du fameux courant de la Négritude. Césaire sera admis à l'école normale et deviendra président de l'association des étudiants martiniquais en 1934.

Ils publient le journal « L’Etudiant Noir » qui paraîtra au cours des années 1935-1936 (6 numéros en deux ans) dans lequel ils défendent le concept de Négritude et essayent de créer un pont entre les étudiants africains et les étudiants originaires de la Caraïbe vivant à Paris. Il s’agissait notamment de corriger le préjugé que les étudiants antillais avaient vis à vis des africains qu’on leur avait appris à considérer comme des sauvages.

En 1936, Césaire retourne pour les vacances aux Antilles, qu’il redécouvre d’un œil nouveau, avec l’œil de l’ étudiant vivant à Paris, mais également à l’aune du concept de la Négritude. De cette vision naîtra le célèbre « Cahier d’un retour au pays natal », le premier pas d’une longue et riche carrière littéraire. Le poème sera publié une première fois en France en 1939, puis en 46, 47, et enfin en 1956, par les éditions « Présence Africaine ». (Césaire rencontrera plus tard André Breton, célèbre poète surréaliste qui enthousiasmé par la poésie Césairienne préfacera la première édition complète de "cahier d'un retour au pays natal", parue en 1946).


Césaire affirme sa vision fondée sur une compréhension nouvelle qu’il a de la « race » noire, de l’Afrique, de sa spiritualité, de ses problèmes...


Il dira plus tard en 1956, lors de la conférence des écrivains et artistes noirs, organisée par Présence Africaine, que « le problème de la culture noire ne peut pas être présentement être posé sans que soit posé simultanément le problème du colonialisme qui a interrompu le cours de l’histoire africaine, détruit la culture, la vie sociale et l’économie africaines, qui a lavé le cerveau des Noirs de la diaspora en leur faisant croire qu’ils étaient inférieurs. Césaire perçoit a cette époque la Négritude comme un mouvement culturel et politique, relié au nationalisme africains et à la libération des Noirs. »


A la suite de la conférence, l’écrivain afro-américain James Baldwin, écrit qu’il a compris qu’il y a un point que tous les Noirs ont en commun : "leur relation douloureuse avec le monde blanc."


A la fin des années 30, Césaire qui s’est marié à Suzanne Roussi (ils se marient en 1937 et auront ensemble quatre garçons et deux filles), une étudiante martiniquaise poursuivant comme lui ses études à Paris, retourne en Martinique. Ils sont tous les deux enseignants au lycée Schoelcher où Césaire aura pour élèves entre autres un futur révolutionnaire, Frantz Fanon, et un futur grand écrivain, Edouard Glissant. Césaire et sa femme éditent un journal, « Tropiques », qui pour la première fois rompt avec la tradition assimilationniste, rappelle les origines de la Martinique, et dans lequel ils vulgarisent le concept de Négritude, abordent les thèmes comme ceux de l’héritage africain, la traite des Noirs (sujet tabou à l'époque dans l'île) ou la critique du colonialisme.

Dans la Martinique dirigée par un envoyé du régime de Vichy, Césaire qui est leader d’opinion est quelque peu harcelé. A la fin de la guerre, il présente sa candidature à la mairie de Fort de France sous l'étiquette communiste. Il est élu maire de Fort-de-France à 32 ans, en 1945, puis un an plus tard, il devient député à l’assemblée nationale française. Comme beaucoup d'ex colonisés, Césaire est attiré par l’idéologie communiste qui prêche l’égalité raciale et l'anticolonialisme.


En 1946, Césaire, allant dans le sens de ce que demandent ses électeurs, défend la départementalisation de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion, ex colonies françaises. Les martiniquais, sous sa houlette, font par leur vote de la Martinique un département français. Si on analyse cette prise de position sous le prisme de la Négritude, du militantisme, de l’engagement de Césaire, il est aisé de se rendre compte que Césaire va à l’encontre des concepts de Négritude, d’affirmation de la personnalité noire qu’il promeut. Il expliquera plus tard qu’il avait espéré être en position de force pour assurer un traitement d'égal à égal à la Martinique. Et il vrai que pour Césaire, départementalisation ne signifie pas assimilation au moule républicain de la France, ni perte de son identité ou sa culture, éléments essentiels pour lui.

En 1947, Césaire est l’un des fondateurs du journal « Présence Africaine » en compagnie de Léopold Sedar Senghor, Léon-Gontran Damas, Birago Diop et du malgache Jacques Rabemananjara. Le directeur de la publication est Alioune Diop, fondateur de la maison d’édition Présence Africaine (à laquelle Césaire lèguera bien plus tard les droits sur certaines de ses œuvres devenues des classiques). La maison d’édition, qui en est à ses débuts, est soutenue par Richard Wright, qui est un des membres de son conseil d’administration.

En 1950, Césaire publie un texte sur le colonialisme qui fait date, et qui demeure une référence plus d’une cinquantaine d’années après sa publication. Il s’agit du « Discours sur le colonialisme » (réédité en 1955 par "Présence Africaine").

Dans un pamphlet acerbe, Césaire se demande quelle est cette civilisation qui viole, qui pille et qui tue impunément. « On ne colonise pas innocemment » dit-il. Il y dénonce les contradictions occidentales. Césaire s'étonne ainsi qu'Ernest Renan, humaniste de gauche, considère la "race" blanche comme supérieure à toutes les autres, les Noirs se situant au bas de l’échelle alors que les asiatiques sont faits pour être ouvriers! ("J’ai honte de le dire" ironise Césaire, "mais celui qui parle ainsi est l'humaniste occidental, le philosophe idéaliste!"). Césaire est également l’un des premiers, sinon le premier, à dire que ce qu’on ne pardonne pas à Hitler, « ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, mais le crime contre l’homme blanc ». Pour lui, Hitler a accompli au cœur de l’Europe ce que les puissances coloniales occidentales réservaient aux "coolies de l'Inde, aux Arabes d'Algérie et aux nègres d'Afrique" sans que cela n’émeuve grand monde au sein de la bourgeoisie bien pensante ou chez les humanistes distingués de cette première moitié du 20ème siècle.

Césaire fait également preuve de talents de visionnaire puisqu’ayant lu « Nations Nègres et Culture » de Cheikh Anta Diop, il qualifie le livre de ce dernier de « livre le plus important qu’un Nègre ait jamais écrit jusqu’ici, et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique ».


En 1956, Césaire déçu quitte la parti communiste avec fracas, et explique sa démission dans la fameuse « Lettre à Maurice Thorez ».

A son retour de Paris, Césaire qui avait été élu sous la bannière communiste démissionne de ses deux postes de maire et de député, puis crée sa propre formation politique, le parti progressiste martiniquais, et se représente à la mairie et à la députation. Il est réélu, alors que son parti remporte 82 % des suffrages. A partir de ce moment, Césaire fait campagne pour une autonomie de la Martinique, toujours à l’intérieur du système français car il ne voit pas la Martinique survivre sans le soutien économique français. Césaire se retirera de la vie politique en 1993, à l’âge de 80 ans.


Lors de la seconde conférence des écrivains et artistes noirs en 1959 à Rome, les propos de Césaire portent quasi-exclusivement sur les luttes de libération. « La vraie décolonisation sera révolutionnaire ou ne sera pas » tonne t-il.


Au niveau littéraire, Césaire s'attaque au théâtre dramatique. Dans « Et les chiens se taisaient » (1956), il aborde les thèmes des luttes de libération et de décolonisation. Sa pièce la plus connue est sans doute « La tragédie du roi Christophe » (1963): il y raconte comment Henri Christophe, qui hérite d’une île d’Haïti libre en 1807 devient un souverain despotique, et finit par se suicider en 1820. Césaire s’attaque ainsi à un problème qui deviendra crucial, celui du leadership dans les pays « noirs » libérés de la colonisation. « La tragédie du roi Christophe » a été jouée entre autres en 1963, lors du festival de Salzburg, lors du festival des arts nègres de Dakar en 1966, à Montréal en 1967, Milan, en Yougoslavie, en Martinique...


En réponse à l’assassinat de Patrice Lumumba, artisan de l’indépendance du Congo, Césaire écrit « une saison au Congo ». La pièce ne sera jouée pour sa première à Bruxelles en 1966 que grâce à l’intervention d’amis influents de Césaire. Dans la pièce, Césaire analyse l’évolution du Congo, du statut d’ex colonie belge à celui d’Etat indépendant, ainsi que les manipulations mises en œuvre aussi bien par les adversaires de Lumumba (le gouvernement belge et ses alliés dans le monde des affaires), que par ses rivaux congolais qui aboutissent finalement à l’assassinat d’un leader pourtant démocratiquement élu. Il abordera aussi dans « une tempête » le thème de la question raciale aux Etats-Unis. Césaire dira plus tard qu'il aime s'attaquer aux "thèmes chauds".

Dès la fin des années 60, Césaire est considéré comme l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand, écrivain du monde afro-caribéen. (Il a par exemple l'honneur de recevoir du Cameroun en 1969 des timbres émis en son honneur dans ce pays).


Césaire conservera une activité politique continue, et sa stature est telle qu’il sera député de la Martinique pendant 47 ans (de 1946 à 1993), et maire de Fort-de-France pendant 56 ans (de 1945 à 2001).


En 1995, un documentaire en trois parties « Aimé Césaire, une voix pour l’histoire » est réalisé par la célèbre cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy qui doit en partie sa carrière à Aimé Césaire qui l’a soutenue à ses débuts (faisant notamment voter par la mairie de Fort de France un budget pour l’aider à réaliser son premier film « Rues Cases Nègres », qui connaîtra un énorme succès).


Dans une interview précédant une cérémonie spéciale en son honneur organisée par l’UNESCO en 1997, Césaire réaffirme ce qu’il avait dit lors du festival des arts nègres de Dakar en 1966: "une indépendance purement politique, non accompagnée et soutenue par une indépendance culturelle, s’avère sur le long terme le moins fiable des boucliers (...)"

Toujours vivant en ce début de 21ème siècle, Aimé Césaire a traversé tout le 20ème siècle qu'il a marqué de son empreinte par sa pertinence, sa réflexion, son engagement, son talent littéraire. Les événements récents aux Antilles, en Haïti, en France métropolitaine ou sur le continent africain démontrent l'incroyable actualité de la pensée de Césaire. L'intérêt pour son œuvre désormais intemporelle ne se dément pas, faisant par exemple de Césaire l’auteur non africain le plus étudié en Afrique, et sans doute aussi l'un de ceux avec lesquels la jeunesse de ce continent se trouve le plus d’affinités.

lundi 14 avril 2008

DAK'ART du 9 mai au 9 juin








La huitième édition de la Biennale de l’Art Africain Contemporain s’inscrit dans une logique d’affirmation de la volonté de pérenniser le rendez vous international des artistes africains et de tous les professionnels, devenus aujourd’hui nombreux à s’intéresser au continent africain pour la créativité de ses artistes.

Une telle volonté est fortement entretenue par la conscience, réaffirmée par le Chef de l’Etat du Sénégal, de l’importance d’un tel événement. Cette même volonté participe à entretenir la créativité, à soutenir l’innovation et à créer les conditions d’expression de personnalités collectives en général, individuelles en particulier, qui permettent d’apprécier notre capacité à garder l’initiative, en toutes circonstances, pour le développement de l’Afrique.

La Biennale de Dakar n’est pas simplement une manifestation périodique. Elle s’affirme depuis longtemps déjà comme le lieu de rencontre de projets artistiques pertinents qui participent à la promotion des artistes africains sur le plan international. Elle est, en même temps, un espace de réflexions approfondies sur des questions à l’ordre du jour sur la scène internationale. La diversité culturelle reste dès lors au cœur du projet de la Biennale de l’Art Africain Contemporain. A cet égard, Dak’Art peut légitiment se présenter comme une contribution pertinente à la stratégie globale pour sa sauvegarde.

Cette édition s’inscrit ainsi dans l’articulation nécessaire entre une Afrique, consciente de l’urgence qui s’attache à la réalisation de son unité politique, et un monde dont les caractéristiques essentielles, à notre époque, résident dans la réalité des grands ensembles politiques et économiques, la vitesse de la circulation de l’information, la place de l’économie du savoir et des industries culturelles dans les échanges internationaux.

« Afrique : miroir ? » est le thème des rencontres et échanges. Plusieurs intervenants sont invités à partager leur perception de l’Afrique, des enjeux de notre époque et des entreprises convergentes qui invitent à des relations plus solidaires pour la réalisation d’un futur plus respectueux de la diversité.

samedi 12 avril 2008

La Diaspora



De la nécessaire ouverture du champ identitaire

par Christine Eyene




« Diaspora » est un terme qui occupe un vaste champ lexical puisquil recoupe aujourdhui de multiples réalités. Dans son acception usuelle, « la Diaspora est lensemble des membres dun peuple dispersé à travers le monde mais restant en relation » (Définition larousse).

Parler de « Diaspora africaine », cest entrer de plain-pied dans lhistoire de la Dispersion du peuple noir, c’est évoquer bien plus quun concept linéaire ayant pour point de départ l’Afrique et comme point de chute l’occident, c’est une géographie éparse, une cartographie éclatée quil convient ici de tracer.




L’origine de la diaspora, nous rappelle Stuart Hall, se trouve dans le « Nouveau Monde»1. C’est en Amérique, Terra Incognita, que retentit pour la première fois l’écho d’une Afrique véhiculée par la mémoire de peuples arrachés à leur terre natale. Face à la brutalité et au traumatisme de l’esclavage qui sévit du XVe au XIXe siècle, l’Afrique se fait la pierre fondatrice d’une « identité noire ».

Mais cette identité ne représente en aucun cas une entité homogène. On sait d’une part que les hommes, femmes et enfants enlevés à l’Afrique provenaient de différentes régions du continent. Qu’ils avaient des cultures diverses, ne parlaient pas la même langue et priaient différents dieux. C’est donc dans la diversité que se sont recomposées de nouvelles identités. D’autre part, l’administration des colonies reflétait les traits de l’empire auquel elles appartenaient. La diaspora s’est alors profilée sur un schéma dialectique posant fragments et continuité identitaires. C’est ainsi que Stuart Hall note, entre la Jamaïque, dont il est originaire, et la Martinique, « une profonde différence culturelle et historique […] positionnant les Martiniquais et Jamaïcains comme à la fois identiques et différents »2.

Partant de cela, c’est en amont que nous proposons d’aller chercher la source de la diaspora. Paul Gilroy emploie une image qui peut nous être utile. Dans son ouvrage de référence, The Black Atlantic (1993), Gilroy appréhende le navire – sur lequel a reposé le commerce triangulaire – comme un moyen de communi c a t ion reliant l’Europe, l’Amérique, l’Afrique et les Antilles.

Le navire, est le « système micro-culturel, micro-politique, vivant et mouvant »3, à la base des reconfigurations qui donneront lieu à la diaspora. Il est aussi, métaphoriquement, support « des divers projets de retour rédempteur à la terre mère africaine, de la circulation des idées et des activistes, ainsi que des mouvements d’artefacts culturels et politiques : tracts, livres, phonographes, et chorales ».4 Cette circulation des idées et de l’activisme culturel dans le « Triangle Noir », ou l’« Atlantique Noir », nous importe dans la mesure où elle est l’essence de ce que l’on entend par « diaspora africaine »; représentée, en l’occurrence, dans l’exposition « Diaspora » du musée du quai Branly.

Si l’esclavage forme la première phase de la naissance de la diaspora, colonisation et décolonisation en Afrique en constituent les étapes suivantes.

En France, plus particulièrement dans le Paris des années 1930, l’Afrique s’exprime à travers l’idéologie de la « Négritude ». Sous la plume du Sénégalais Senghor, du Martiniquais Césaire et du Guyanais Damas (c’est-à-dire à la fois dans l’unité « nègre » et dans la différence) se construit l’un des mouvements majeurs du discours anticolonialiste. La résonance de la diaspora est d’autant plus prégnante que, comme le déclare Césaire, ce sont les écrivains, essayistes, romanciers et poètes noirs de la « Renaissance de Harlem », aux États-Unis, qui les ont inspirés.5

L’histoire nous renvoie ensuite à un va-et-vient géographique, à une navigation (pour reprendre l’image de Gilroy) entre les différents foyers culturels de la diaspora. Chaque fois exacerbés par une « quête de liberté, de citoyenneté et d’autonomie politique et sociale. »6

Ainsi, la lutte pour les droits civiques aux États-Unis marquée par l’œuvre de Martin Luther King Jr (de 1955 à 1968) influencera la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, notamment le mouvement de la Conscience Noire (1960-1976). Les années soixante sont aussi la décennie des indépendances et la naissance d’un mouvement migratoire de l’Afrique vers l’Europe. La France et l’Angleterre, notamment, connaîtront une vague d’immigration composée d’une population née dans la colonie et qui, au cours du processus d’« acculturation » nécessaire à la mission colonisatrice, a mété éduquée de manière à considérer le pays colonisateur comme son propre pays. En Angleterre, on parle de « Génération Windrush », du nom du navire dont débarquèrent des travailleurs des colonies britanniques dans les années 1940 et 50. En France, les Trente Glorieuses (1955-75) promettent une vie meilleure à une main-d’oeuvre africaine, particulièrement maghrébine.

Dans les deux cas, l’expérience migratoire se vit comme un choc culturel. Celui-ci n’est pas tant dû aux difficultés d’adaptation à une nouvelle culture, qu’au fait d’être sans cesse renvoyé à ses origines et de voir son identité considérée comme antagoniste ou antithétique à la culture de son pays d’adoption.

Le regroupement culturel s’impose alors comme seule alternative sociale. Ce que l’on nomme péjorativement, le « repli identitaire » ou « communautarisme ». Le cercle communautaire est pourtant l’espace privilégié où s’affirme l’identité. Il représente le lieu physique ou virtuel dans lequel se transmet la « culture noire ». Adoptons, pour un instant, ce terme qui véhicule toute l’hybridité de la diaspora. Car, en plus de la diversité des peuples noirs – unis par leur position marginale vis-à-vis du monde blanc – ce que l’on appelle la « culture africaine » n’a rien de traditionnellement figé. Les migrations des peuples de langue bantoue dans la zone sub-équatoriale (1000 av. J.C. - XVIIe siècle), ainsi que les invasions arabes au Maghreb (à partir du VIIe siècle) sanctionnent, bien avant la colonisation européenne, les mutations culturelles. Les contacts entre l’Occident et le monde noir n’ont fait que confirmer la perméabilité des cultures. L’Afrique de la diaspora a été autant « dénaturée » par l’Europe qu’elle n’a enrichi cette dernière, entre autres, culturellement.

La société moderne occidentale, qu’on veuille ou non l’admettre, s’est construite sur les flux migratoires. Les États-Unis d’Amérique, dits « première puissance mondiale », ne sont-ils pas l’ultime symbole du multiculturalisme? Ce qui rend caduc tout nationalisme fondé sur l’idée de « pureté » culturelle. À celle-ci, Paul Gilroy oppose une théorie de la créolisation, du métissage, de l’hybridité.7

C’est dans cet environnement bilingue et multiculturel, troisième contexte constitutif, que naît la diaspora africaine d’Europe. Celle-ci impose de repenser à la fois identités nationales et culturelles. Pour le fils d’immigré né et élevé en France ou en Angleterre, l’identité devrait être une question sans équivoque. Mais les nationalismes, la xénophobie ou, moindre mal, la passion de l’exotisme, qui d’une certaine façon perdurent aujourd’hui, le contraignent à exercer ce que W.E.B. DuBois appelle, dès le début du XXe siècle, une « double conscience ». Notre origine et notre race nous sont constamment rappelées. Au point que, comme l’écrit DuBois : « on est toujours conscient de ce double soi […], deux esprits, deux modes de pensée, deux efforts inconciliables […] dans un même corps noir. »8 La diaspora compose avec altérité et appartenance. Elle se place dans l’entre- deux culturel, pratiquant un art de la « translation », au double sens du terme. D’une part, c’est par elle que vivent et se transmettent, dans la communauté noire, les cultures africaines d’hier et d’aujourd’hui. D’autre part, elle se fait interprète d’un métissage tant propre à sa double appartenance qu’à une réalité sociale à laquelle l’Europe tente en vain de résister.

Cette essence africaine, cela fait maintenant dix ans qu’Africultures la défend. Dix ans qu’est portée, dans la revue et sur le site internet, la polyphonie diasporique, dans la variété des disciplines au travers desquelles elle s’exprime. Une décennie durant laquelle un certain nombre de numéros ont montré qu’Africultures était en accord avec une proposition ouverte de la notion de « diaspora africaine » : Migrations Intimes (n. 68, sept. 2006); Métissages : un alibi culturel (n. 64, mars 2005); L’africanité en questions (n. 41 Oct. 2001); Brésil Noir (n. 34, jan. 2001); Cuba l’Africaine (n. 17, avril 1999). Ce dossier « Diaspora », réalisé en partenariat avec le musée du quai Branly se présente à un moment on ne peut plus opportun, dans l’histoire de la revue. Numéro manifeste, il permettra, dans un second temps, un bilan prospectif sur notre rôle au sein de la diaspora. Il est également le signe que ce musée, qui fut l’objet d’un vif débat issu d’une histoire qui remonte au Musée des Colonies, ne peut faire abstraction des connaissances que possède la diaspora africaine de France. Mais il ne s’agit pas pour nous de remplir un simple rôle d’« informateurs indigènes » au sens où l’entendrait Gayatri Spivak. C’est en ayant conscience du rapport « pouvoir/savoir » énoncé par Foucault, qu’Africultures entend – dans un dossier regroupant témoignages, cultures et théories – représenter une palette d’expériences de la diaspora africaine.






[- DOSSIER n° 72 d’Africultures]


---------------------------------------------------------------------------------------

1. Stuart Hall, « Cultural Identity and Diaspora » in J. Rutherford (ed.), Identity: Community, Culture and Difference. London, Lawrence and Wishart, 1990, p. 235.

2. Id., p. 227.

3. Paul Gilroy, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness. London, New York, Verso, 1993, p. 4.

4. Idem.

5. Aimé Césaire, « Discours sur la Négritude », Première Conférence Hémisphérique des Peuples Noirs de la Diaspora. Université Internationale de Floride, Miami, 1987. Publié dans Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, suivi de Discours sur la Négritude. Paris, Présence Africaine, 1955 (réédité en 2004), pp. 87-88.

6. Paul Gilroy, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness. Op. cit., p. 2.

7. Ibid.

8. W.E.B. Du Bois, The Souls of Black Folk. New York, Dover Publications, Inc., 1994. (Première publication: Chicago, A. C. McClurg, 1903.) p. 2.

mardi 8 avril 2008

Big brother nous a même donné l'heure!

vendredi 4 avril 2008

BD "MES SEMBLABLES"





Le racisme est toujours dénoncé. Mais pourquoi son existence est-elle si difficilement reconnue ?


ACOR SOS Racisme (Touche pas à mon pote) publient une BD pour dénoncer le racisme dans nos sociétés.

Georges Pop et Christina Kitsos ont réuni quelques unes, quelques uns des plus talentueux auteurs suisses de bande dessinée. En toute liberté, ils ont peint, dessiné des nouvelles et des poèmes, des crobars pour rappeler que le racisme fait mal.


Le rire l’émotion, le racisme, la compassion, toute la palette des émotions nous rappelle sans pontifier que nous sommes tous « NOS SEMBLABLES ».


--------------------

ACOR SOS Racisme
- Écoute, conseille et informe les personnes concernées par le racisme et la discrimination.
- Milite pour le respect des droits et de la dignité de chacun-e

http://www.sos-racisme.ch




Discours "A more perfect Union" par Barack Obama







La race : une thématique que la candidature de Barack Obama a mis en exergue dans la campagne présidentielle américaine. Voilà c'est fait à Philadelphie, il s’est enfin exprimé sur la question raciale dans une intervention qui marquera encore cette campagne riche en rebondissements. Le problème racial, un sujet que les Etats-Unis ne peuvent pas s’offrir le luxe d’ignorer « maintenant », selon Barack Obama.

Voici la traduction de ce discours marquant, pertinent, intelligent et courageux que le jeune sénateur de l'Illinois et candidat à la présidence a prononcé en mars dernier. (merci à www.afrik.com)



"Une Union plus parfaite"

"Nous le peuple, dans le but de former une union plus parfaite. Il y a deux cent vingt et un ans, un groupe d’hommes s’est rassemblé dans une salle qui existe toujours de l’autre côté de la rue, et avec ces simples mots, lança l’aventure inouïe de la démocratie américaine.Agriculteurs et savants, hommes politiques et patriotes qui avaient traversé l’océan pour fuir la tyrannie et les persécutions, donnèrent enfin forme à leur déclaration d’indépendance lors d’une convention qui siégea à Philadelphie jusqu’au printemps 1787.

Ils finirent par signer le document rédigé, non encore achevé. Ce document portait le stigmate du péché originel de l’esclavage, un problème qui divisait les colonies et faillit faire échouer les travaux de la convention jusqu’à ce que les pères fondateurs décident de permettre le trafic des esclaves pendant encore au moins vingt ans, et de laisser aux générations futures le soin de l’achever.

Bien sur, la réponse à la question de l’esclavage était déjà en germe dans notre constitution, une constitution dont l’idéal de l’égalité des citoyens devant la loi est le cœur, une constitution qui promettait à son peuple la liberté et la justice, et une union qui pouvait et devait être perfectionnée au fil du temps.

Et pourtant des mots sur un parchemin ne suffirent ni à libérer les esclaves de leurs chaînes, ni à donner aux hommes et aux femmes de toute couleur et de toute croyance leurs pleins droits et devoirs de citoyens des Etats-Unis

Il fallait encore que, de génération en génération, les Américains s’engagent —en luttant et protestant, dans la rue et dans les tribunaux, et en menant une guerre civile et une campagne de désobéissance civile, toujours en prenant de grands risques—, pour réduire l’écart entre la promesse de nos idéaux et la réalité de leur temps.

C’est l’une des tâches que nous nous sommes fixées au début de cette campagne —continuer la longue marche de ceux qui nous ont précédé, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus généreuse et plus prospère.

J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble, que nous ne pourrons parfaire l’union que si nous comprenons que nous avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes espoirs, que nous ne sommes pas tous pareils et que nous ne venons pas du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants.

Cette conviction me vient de ma foi inébranlable en la générosité et la dignité du peuple Américain. Elle me vient aussi de ma propre histoire d’Américain. Je suis le fils d’un Noir du Kenya et d’une Blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père qui a survécu à la Dépression et qui s’est engagé dans l’armée de Patton pendant la deuxième Guerre Mondiale, et une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de bombardiers quand son mari était en Europe.

J’ai fréquenté les meilleures écoles d’Amérique et vécu dans un des pays les plus pauvres du monde. J’ai épousé une noire américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs maîtres, un héritage que nous avons transmis à nos deux chères filles.

J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux des oncles et des cousins, de toute race et de toute teinte, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie, je n’oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans aucun autre pays.

C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus plausible. Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette nation est plus que la somme de ses parties, que de plusieurs nous ne faisons qu’un.

Tout au long de cette première année de campagne, envers et contre tous les pronostics, nous avons constaté à quel point les Américains avaient faim de ce message d’unité.

Bien que l’on soit tenté de juger ma candidature sur des critères purement raciaux, nous avons remporté des victoires impressionnantes dans les états les plus blancs du pays. En Caroline du Sud, où flotte encore le drapeau des Confédérés, nous avons construit une coalition puissante entre Afro-Américains et Américains blancs.

Cela ne veut pas dire que l’appartenance raciale n’a joué aucun rôle dans la campagne. A plusieurs reprises au cours de la campagne, des commentateurs m’ont trouvé ou « trop noir » ou « pas assez noir ».

Nous avons vu surgir des tensions raciales dans la semaine qui a précédé les primaires de la Caroline du Sud. Les médias ont épluché chaque résultat partiel, à la recherche de tout indice de polarisation raciale, pas seulement entre noirs et blancs mais aussi entre noirs et bruns.

Et pourtant ce n’est que ces deux dernières semaines que la question raciale est devenue un facteur de division.

D’un côté on a laissé entendre que ma candidature était en quelque sorte un exercice de discrimination positive, basé seulement sur le désir de libéraux [Ndt : gens de gauche] candides d’acheter à bon marché la réconciliation raciale.

D’un autre côté on a entendu mon ancien pasteur, le Rev. Jeremiah Wright, exprimer dans un langage incendiaire des opinions qui risquent non seulement de creuser le fossé entre les races mais aussi de porter atteinte à ce qu’il y a de grand et de bon dans notre pays. Voilà qui, à juste titre choque blancs et noirs confondus.

J’ai déjà condamné sans équivoque aucune les déclarations si controversées du Rev. Wright. Il reste des points qui en dérangent encore certains.

Est-ce que je savais qu’il pouvait à l’occasion dénoncer avec violence la politique américaine intérieure et étrangère ? Bien sûr. M’est-il arrivé de l’entendre dire des choses contestables quand j’étais dans son église ? Oui. Est-ce que je partage toutes ses opinions politiques ? Non, bien au contraire ! Tout comme j’en suis sûr beaucoup d’entre vous entendent vos pasteurs, prêtres ou rabbins proférer des opinions que vous êtes loin de partager.

Mais les déclarations à l’origine de ce récent tollé ne relevaient pas seulement de la polémique. Elles n’étaient pas que l’indignation d’un leader spirituel dénonçant les injustices ressenties.

Elles reflétaient plutôt une vue profondément erronée de ce pays —une vue qui voit du racisme blanc partout, une vue qui met l’accent sur ce qui va mal en Amérique plutôt que sur ce qui va bien. Une vue qui voit les racines des conflits du Moyen-Orient essentiellement dans les actions de solides alliés comme Israël, au lieu de les chercher dans les idéologies perverses et haineuses de l’Islam radical.

Le Rev. Jeremiah Wright ne fait pas que se tromper, ses propos sèment la discorde à un moment où nous devons trouver ensemble des solutions à nos énormes problèmes : deux guerres, une menace terroriste, une économie défaillante, une crise chronique du système de santé, un changement climatique aux conséquences désastreuses. Ces problèmes ne sont ni noirs ni blancs, ni hispaniques ni asiatiques mais ce sont des problèmes qui nous concernent tous.

Au vu de mon parcours, de mes choix politiques et des valeurs et idéaux auxquels j’adhère, on dira que je ne suis pas allé assez loin dans ma condamnation. Et d’abord pourquoi m’être associé avec le Rev. Jeremiah Wright, me demandera-t-on ? Pourquoi ne pas avoir changé d’église ?

J’avoue que si tout ce que je savais du Rev. Wright se résumait aux bribes de sermons qui passent en boucle à la télévision et sur YouTube, ou si la Trinity United Church of Christ ressemblait aux caricatures colportées par certains commentateurs, j’aurais réagi de même.

Mais le fait est que ce n’est pas tout ce que je sais de cet homme. L’homme que j’ai rencontré il y a plus de vingt ans est l’homme qui m’a éveillé à ma foi. Un homme pour qui aimer son prochain, prendre soin des malades et venir en aide aux miséreux est un devoir.

Voilà un homme qui a servi dans les Marines, qui a étudié et enseigné dans les meilleures universités et séminaires et qui pendant plus de trente ans a été à la tête d’une église, qui en se mettant au service de sa communauté accomplit l’œuvre de Dieu sur terre : loger les sans-abris, assister les nécessiteux, ouvrir des crèches, attribuer des bourses d’études, rendre visite aux prisonniers, réconforter les séropositifs et les malades atteints du sida.

Dans mon livre, Les Rêves de mon père, je décris mes premières impressions de l’église de la Trinity :

« L’assistance se mit à crier, à se lever, à taper des mains, et le vent puissant de son souffle emportait la voix du révérend jusqu’aux chevrons (...). Et dans ces simples notes — espoir ! — j’entendis autre chose. Au pied de cette croix, à l’intérieur des milliers d’églises réparties dans cette ville, je vis l’histoire de noirs ordinaires se fondre avec celles de David et Goliath, de Moïse et Pharaon, des chrétiens jetés dans la fosse aux lions, du champ d’os desséchés d’Ezékiel.

Ces histoires —de survie, de liberté, d’espoir— devenaient notre histoire, mon histoire ; le sang qui avait été versé était notre sang, les larmes étaient nos larmes. Cette église noire, en cette belle journée, était redevenue un navire qui transportait l’histoire d’un peuple jusqu’aux générations futures et jusque dans un monde plus grand.

Nos luttes et nos triomphes devenaient soudain uniques et universels, noirs et plus que noirs. En faisant la chronique de notre voyage, les histoires et les chants nous donnaient un moyen de revendiquer des souvenirs dont nous n’avions pas à avoir honte (…), des souvenirs que tout le monde pouvait étudier et chérir - et avec lesquels nous pouvions commencer à reconstruire. »

Telle a été ma première expérience à Trinity. Comme beaucoup d’églises majoritairement noires, Trinity est un microcosme de la communauté noire : on y voit le médecin et la mère assistée, l’étudiant modèle et le voyou repenti.

Comme toutes les autres églises noires, les services religieux de Trinity résonnent de rires tapageurs et de plaisanteries truculentes. Et ça danse, ça tape des mains, ça crie et ça hurle, ce qui peut paraître incongru à un nouveau venu

L’église contient toute la tendresse et la cruauté, l’intelligence l’extrême et l’ignorance crasse, les combats et les réussites, tout l’amour et, oui, l’amertume et les préjugés qui sont la somme de l’expérience noire en Amérique.

Et cela explique sans doute mes rapports avec le Rev. Wright. Si imparfait soit-il, je le considère comme un membre de ma famille. Il a raffermi ma foi, célébré mon mariage et baptisé mes enfants.

Jamais dans mes conversations avec lui ne l’ai-je entendu parler d’un groupe ethnique en termes péjoratifs, ou manquer de respect ou de courtoisie envers les blancs avec qui il a affaire. Il porte en lui les contradictions — le bon et le mauvais— de la communauté qu’il sert sans se ménager depuis tant d’années.

Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire, je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche, une femme qui a fait tant de sacrifices pour moi, une femme qui m’aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’avouait sa peur des noirs qu’elle croisait dans la rue et que, plus d’une fois, j’ai entendu faire des remarques racistes qui m’ont répugné.

Ces personnes sont une partie de moi. Et elles font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime.

D’aucuns verront ici une tentative de justifier ou d’excuser des propos tout à fait inexcusables. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien. Je suppose qu’il serait plus prudent, politiquement, de continuer comme si de rien n’était, en espérant que toute l’affaire sera vite oubliée.

Nous pourrions faire peu de cas du Rev. Wright, et ne voir en lui qu’un excentrique ou un démagogue, tout comme certains l’ont fait dans le cas de Geraldine Ferraro, l’accusant, à la suite de ses récentes déclarations, de préjugé racial.

Mais je crois que ce pays, aujourd’hui, ne peut pas se permettre d’ignorer la problématique de race. Nous commettrions la même erreur que le Rev. Wright dans ses sermons offensants sur l’Amérique —en simplifiant, en recourant à des stéréotypes et en accentuant les côtés négatifs au point de déformer la réalité.

Le fait est que les propos qui ont été tenus et les problèmes qui ont été soulevés ces dernières semaines reflètent les aspects complexes du problème racial que n’avons jamais vraiment explorés — une partie de notre union qui nous reste encore à parfaire.

Et si nous abandonnons maintenant pour revenir tout simplement à nos positions respectives, nous n’arriverons jamais à nous unir pour surmonter ensemble les défis que sont l’assurance maladie, l’éducation ou la création d’emplois pour chaque Américain.

Pour comprendre cet état de choses, il faut se rappeler comment on en est arrivé là. Comme l’a écrit William Faulkner : « Le passé n’est pas mort et enterré. En fait il n’est même pas passé. » Nul besoin ici de réciter l’histoire des injustices raciales dans ce pays

Mais devons nous rappeler que si tant de disparités existent dans la communauté afro-américaine d’aujourd’hui, c’est qu’elles proviennent en droite ligne des inégalités transmises par la génération précédente qui a souffert de l’héritage brutal de l’esclavage et de Jim Crow.

La ségrégation à l’école a produit et produit encore des écoles inférieures. Cinquante ans après Brown vs. The Board of Education, rien n’a changé et la qualité inférieure de l’éducation que dispensent ces écoles aide à expliquer les écarts de réussite entre les étudiants blancs et noirs d’aujourd’hui.

La légalisation de la discrimination —des Noirs qu’on empêchait, souvent par des méthodes violentes, d’accéder a la propriété, des crédits que l’on accordait pas aux entrepreneurs afro-américains, des propriétaires noirs qui n’avaient pas droit aux prêts du FHA [Ndt : Federal Housing Administration, l’administration fédérale en charge du logement], des Noirs exclus des syndicats, des forces de police ou des casernes de pompiers, a fait que les familles noires n’ont jamais pu accumuler un capital conséquent à transmettre aux générations futures.

Cette histoire explique l’écart de fortune et de revenus entre noirs et blancs et la concentration des poches de pauvreté qui persistent dans tant de communautés urbaines et rurales d’aujourd’hui.

Le manque de débouchés parmi les Noirs, la honte et la frustration de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille ont contribué a la désintégration des familles noires —un problème que la politique d’aide sociale, pendant des années, a peut-être aggravée. Le manque de service publics de base dans un si grand nombre de quartiers noirs —des aires de jeux pour les enfants, des patrouilles de police, le ramassage régulier des ordures et l’application des codes d’urbanisme, tout cela a crée un cycle de violence, de gâchis et de négligences qui continue de nous hanter.

C’est la réalité dans laquelle le Rev. Wright et d’autres Afro-Américains de sa génération ont grandi. Ils sont devenus adultes à la fin des années 50 et au début des années 60, époque ou la ségrégation était encore en vigueur et les perspectives d’avenir systématiquement réduites.

Ce qui est extraordinaire, ce n’est pas de voir combien ont renoncé devant la discrimination, mais plutôt combien ont réussi à surmonter les obstacles et combien ont su ouvrir la voie à ceux qui, comme moi, allaient les suivre.

Mais pour tous ceux qui ont bataillé dur pour se tailler une part du Rêve Américain, il y en a beaucoup qui n’y sont pas arrivés – ceux qui ont été vaincus, d’une façon ou d’une autre, par la discrimination.

L’expérience de l’échec a été léguée aux générations futures : ces jeunes hommes et, de plus en plus, ces jeunes femmes que l’on voit aux coins des rues ou au fond des prisons, sans espoir ni perspective d’avenir. Même pour les Noirs qui s’en sont sortis, les questions de race et de racisme continuent de définir fondamentalement leur vision du monde.

Pour les hommes et les femmes de la génération du Rev. Wright, la mémoire de l’humiliation de la précarité et de la peur n’a pas disparu, pas plus que la colère et l’amertume de ces années.

Cette colère ne s’exprime peut-être pas en public, devant des collègues blancs ou des amis blancs. Mais elle trouve une voix chez le coiffeur ou autour de la table familiale. Parfois cette colère est exploitée par les hommes politiques pour gagner des voix en jouant la carte raciale, ou pour compenser leur propre incompétence.

Et il lui arrive aussi de trouver une voix, le dimanche matin à l’église, du haut de la chaire ou sur les bancs des fidèles. Le fait que tant de gens soient surpris d’entendre cette colère dans certains sermons du Rev. Wright nous rappelle le vieux truisme, à savoir que c’est à l’office du dimanche matin que la ségrégation est la plus évidente.

Cette colère n’est pas toujours une arme efficace. En effet, bien trop souvent, elle nous détourne de nos vrais problèmes, elle nous empêche de confronter notre part de responsabilité dans notre condition, et elle empêche la communauté afro-américaine de nouer les alliances indispensables à un changement véritable.

Mais cette colère est réelle, et elle est puissante, et de souhaiter qu’elle disparaisse, de la condamner sans en comprendre les racines ne sert qu’à creuser le fossé d’incompréhension qui existe entre les deux races.

Et de fait, il existe une colère similaire dans certaines parties de la communauté blanche. La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n’ont pas l’impression d’avoir été spécialement favorisés par leur appartenance raciale.

Leur expérience est l’expérience de l’immigrant —dans leur cas, ils n’ont hérité de personne, ils sont partis de rien. Ils ont travaillé dur toute leur vie, souvent pour voir leurs emplois délocalisés et leurs retraites partir en fumée.

Ils sont inquiets pour leur avenir, ils voient leurs rêves s’évanouir ; à une époque de stagnation des salaires et de concurrence mondiale, les chances de s’en sortir deviennent comme un jeu de somme nulle où vos rêves se réalisent au dépens des miens.

Alors, quand on leur dit que leurs enfants sont affectés à une école à l’autre bout de la ville, quand on leur dit qu’un Afro-Américain qui décroche un bon job ou une place dans une bonne faculté est favorisé à cause d’une injustice qu’ils n’ont pas commise, quand on leur dit que leur peur de la délinquance dans les quartiers est une forme de préjugé, la rancœur s’accumule au fil du temps.

Comme la colère au sein de la communauté noire qui ne s’exprime pas en public, ces choses qui fâchent ne se disent pas non plus. Mais elles affectent le paysage politique depuis au moins une génération.

C’est la colère envers la politique d’assistance de l’Etat-Providence et la politique de discrimination positive qui ont donné naissance à la Coalition Reagan. Les hommes politiques ont systématiquement exploité la peur de l’insécurité à des fins électorales. Les présentateurs des talk-shows et les analystes conservateurs se sont bâti des carrières en débusquant des accusations de racisme bidon, tout en assimilant les débats légitimes sur les injustices et les inégalités raciales à du politiquement correct ou du racisme a rebours.

Tout comme la colère noire s’est souvent avérée contre-productive, la rancœur des blancs nous a aveuglés sur les véritables responsables de l’étranglement de la classe moyenne —une culture d’entreprise où les délits d’initiés, les pratiques comptables douteuses et la course aux gains rapides sont monnaie courante ; une capitale sous l’emprise des lobbies et des groupes de pression, une politique économique au service d’une minorité de privilégiés.

Et pourtant, souhaiter la disparition de cette rancœur des Blancs, la qualifier d’inappropriée, voire de raciste, sans reconnaître qu’elle peut avoir des causes légitimes —voila aussi qui contribue à élargir la fracture raciale et faire en sorte que l’on n’arrive pas à se comprendre.

Voilà où nous en sommes actuellement : incapables depuis des années de nous extirper de l’impasse raciale. Contrairement aux dires de certains de mes critiques, Blancs ou Noirs, je n’ai jamais eu la naïveté de croire que nous pourrions régler nos différends raciaux en l’espace de quatre ans ou avec une seule candidature, qui plus est une candidature aussi imparfaite que la mienne.

Mais j’ai affirmé ma conviction profonde—une conviction ancrée dans ma foi en Dieu et ma foi dans le peuple américain—qu’en travaillant ensemble nous arriverons à panser nos vieilles blessures raciales et qu’en fait nous n’avons plus le choix si nous voulons continuer d’avancer dans la voie d’une union plus parfaite.

Pour la communauté afro-américaine, cela veut dire accepter le fardeau de notre passé sans en devenir les victimes, cela veut dire continuer d’exiger une vraie justice dans tous les aspects de la vie américaine. Mais cela veut aussi dire associer nos propres revendications –meilleure assurance maladie, meilleures écoles, meilleurs emplois—aux aspirations de tous les Américains, qu’il s’agisse de la blanche qui a du mal à briser le plafond de verre dans l’échelle hiérarchique, du blanc qui a été licencié ou de l’immigrant qui s’efforce de nourrir sa famille.

Cela veut dire aussi assumer pleinement nos responsabilités dans la vie — en exigeant davantage de nos pères, en passant plus de temps avec nos enfants, en leur faisant la lecture, en leur apprenant que même s’ils sont en butte aux difficultés et à la discrimination, ils ne doivent jamais succomber au désespoir et au cynisme : ils doivent toujours croire qu’ils peuvent être maîtres de leur destinée.

L’ironie, c’est que cette notion si fondamentalement américaine –et, oui, conservatrice—de l’effort personnel, on la retrouve souvent dans les sermons du Rev. Wright. Mais ce que mon ancien pasteur n’a pas compris, c’est qu’on ne peut pas chercher à s’aider soi-même sans aussi croire que la société peut changer.

L’erreur profonde du Rev. Wright n’est pas d’avoir parlé du racisme dans notre société. C’est d’en avoir parlé comme si rien n’avait changé, comme si nous n’avions pas accompli de progrès, comme si ce pays —un pays ou un Noir peut être candidat au poste suprême et construire une coalition de Blancs et de Noirs, d’hispaniques et d’asiatiques, de riches et de pauvres, de jeunes et de vieux—était encore prisonnier de son passé tragique. Mais ce que nous savons – ce que nous avons vu—c’est que l’Amérique peut changer. C’est là le vrai génie de cette nation. Ce que nous avons déjà accompli nous donne de l’espoir —l’audace d’espérer —pour ce que nous pouvons et devons accomplir demain.

Pour ce qui est de la communauté blanche, la voie vers une union plus parfaite suppose de reconnaître que ce qui fait souffrir la communauté afro-américaine n’est pas le produit de l’imagination des Noirs ; que l’héritage de la discrimination —et les épisodes actuels de discrimination, quoique moins manifestes que par le passé- sont bien réels et doivent être combattus.

Non seulement par les mots, mais par les actes —en investissant dans nos écoles et nos communautés ; en faisant respecter les droits civils et en garantissant une justice pénale plus équitable ; en donnant à cette génération les moyens de s’en sortir, ce qui faisait défaut aux générations précédentes.

Il faut que tous les Américains comprennent que vos rêves ne se réalisent pas forcément au détriment des miens ; qu’investir dans la santé, les programmes sociaux et l’éducation des enfants noirs, bruns et blancs contribuera à la prospérité de tous les Américains.

En fin de compte, ce que l’on attend de nous, ce n’est ni plus ni moins ce que toutes les grandes religions du monde exigent —que nous nous conduisions envers les autres comme nous aimerions qu’ils se conduisent envers nous. Soyons le gardien de notre frère, nous disent les Ecritures. Soyons le gardien de notre sœur. Trouvons ensemble cet enjeu commun qui nous soude les uns aux autres, et que notre politique reflète aussi l’esprit de ce projet.

Car nous avons un choix à faire dans ce pays. Nous pouvons accepter une politique qui engendre les divisions intercommunautaires, les conflits et le cynisme. Nous pouvons aborder le problème racial en voyeurs —comme pendant le procès d’O.J. Simpson —, sous un angle tragique – comme nous l’avons fait après Katrina – ou encore comme nourriture pour les journaux télévisés du soir. Nous pouvons exploiter la moindre bavure dans le camp d’Hillary comme preuve qu’elle joue la carte raciale, ou nous pouvons nous demander si les électeurs blancs voteront en masse pour John McCain en novembre, quel que soit son programme politique.

Oui, nous pouvons faire cela.

Mais dans ce cas, je vous garantis qu’aux prochaines élections nous trouverons un autre sujet de distraction. Et puis un autre. Et puis encore un autre. Et rien ne changera.

C’est une possibilité. Ou bien, maintenant, dans cette campagne, nous pouvons dire ensemble : « Cette fois, non ». Cette fois, nous voulons parler des écoles délabrées qui dérobent leur avenir à nos enfants, les enfants noirs, les enfants blancs, les enfants asiatiques, les enfants hispaniques et les enfants amérindiens.

Cette fois nous ne voulons plus du cynisme qui nous répète que ces gosses sont incapables d’apprendre, que ces gosses qui nous ne ressemblent pas sont les problèmes de quelqu’un d’autre. Les enfants de l’Amérique ne sont pas ces gosses-là, mais ces gosses-là sont pourtant bien nos enfants, et nous ne tolérerons pas qu’ils soient laissés pour compte dans la société du vingt-et-unième siècle. Pas cette fois.

Cette fois nous voulons parler des files d’attente aux urgences peuplées de blancs, de noirs et d’hispaniques qui n’ont pas d’assurance santé, qui ne peuvent seuls s’attaquer aux groupes de pression mais qui pourront le faire si nous nous y mettons tous.

Cette fois nous voulons parler des usines qui ont fermé leurs portes et qui ont longtemps fait vivre honnêtement des hommes et des femmes de toute race, nous voulons parler de ces maisons qui sont maintenant à vendre et qui autrefois étaient les foyers d’Américains de toute religion, de toute région et de toute profession.

Cette fois nous voulons parler du fait que le vrai problème n’est pas que quelqu’un qui ne vous ressemble pas puisse vous prendre votre boulot, c’est que l’entreprise pour laquelle vous travaillez va délocaliser dans le seul but de faire du profit.

Cette fois, nous voulons parler des hommes et des femmes de toute couleur et de toute croyance qui servent ensemble, qui combattent ensemble et qui versent ensemble leur sang sous le même fier drapeau. Nous voulons parler du moyen de les ramener à la maison, venant d’une guerre qui n’aurait jamais dû être autorisée et qui n’aurait jamais dû avoir lieu, et nous voulons parler de la façon de montrer notre patriotisme en prenant soin d’eux et de leurs familles et en leur versant les allocations auxquelles ils ont droit.

Je ne me présenterais pas à l’élection présidentielle si je ne croyais pas du fond du cœur que c’est ce que veut l’immense majorité des Américains pour ce pays. Cette union ne sera peut-être jamais parfaite mais, génération après génération, elle a montré qu’elle pouvait se parfaire.

Et aujourd’hui, chaque fois que je me sens sceptique ou cynique quant à cette possibilité, ce qui me redonne le plus d’espoir est la génération à venir —ces jeunes dont les attitudes, les croyances et le sincère désir de changement sont déjà, dans cette élection, rentrés dans l’Histoire.

Il y a une histoire que j’aimerais partager avec vous aujourd’hui, une histoire que j’ai eu l’honneur de raconter lors de la commémoration de la naissance de Martin Luther King, dans sa paroisse, Ebenezer Baptist, à Atlanta.

Il y a une jeune blanche de 23 ans, du nom d’Ashley Baia, qui travaillait pour notre campagne à Florence, en Caroline du Sud. Depuis le début, elle a été chargée de mobiliser une communauté à majorité afro-américaine. Et un jour elle s’est trouvée à une table ronde où chacun, tour à tour, racontait son histoire et disait pourquoi il était là.

Et Ashley a dit que quand elle avait 9 ans sa maman a eu un cancer, et parce qu’elle avait manqué plusieurs jours de travail elle a été licenciée et a perdu son assurance maladie. Elle a dû se mettre en faillite personnelle et c’est là qu’Ashley s’est décidée à faire quelque chose pour aider sa maman.

Elle savait que ce qui coûtait le plus cher c’était d’acheter à manger, et donc Ashley a convaincu sa mère ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était des sandwichs moutarde-cornichons. Parce que c’était ce qu’il y avait de moins cher.

C’est ce qu’elle a mangé pendant un an, jusqu’à ce que sa maman aille mieux. Et elle a dit à tout le monde, à la table ronde, qu’elle s’était engagée dans la campagne pour aider les milliers d’autres enfants du pays qui eux aussi veulent et doivent aider leurs parents.

Ashley aurait pu agir différemment. Quelqu’un lui a peut être dit a un moment donné que la cause des ennuis de sa mère c’était soit les noirs qui, trop paresseux pour travailler, vivaient des allocations sociales, soit les hispaniques qui entraient clandestinement dans le pays. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a cherché des alliés avec qui combattre l’injustice.

Bref, Ashley termine son histoire et demande a chacun pourquoi il s’est engagé dans la campagne. Ils ont tous des histoires et des raisons différentes. Il y en a beaucoup qui soulèvent un problème précis. Et pour finir, c’est le tour de ce vieillard noir qui n’a encore rien dit.

Et Ashley lui demande pourquoi il est là. Il ne soulève aucun point en particulier. Il ne parle ni de l’assurance maladie ni de l’économie. Il ne parle ni d’éducation ni de guerre. Il ne dit pas qu’il est venu à cause de Barack Obama. Il dit simplement : « Je suis ici à cause d’Ashley. »

« Je suis ici à cause d’Ashley ». A lui seul, ce déclic entre la jeune fille blanche et le vieillard noir ne suffit pas. Il ne suffit pas pour donner une assurance santé aux malades, du travail à ceux qui n’en n’ont pas et une éducation à nos enfants.

Mais c’est par là que nous démarrons. Par là que notre union se renforce. Et comme tant de générations l’ont compris tout au long des deux cent vingt et une années écoulées depuis que des patriotes ont signé ce document a Philadelphie, c’est par là que commence le travail de perfection. »










Traduction de Didier Rousseau et de Françoise Simon Ammon & Rousseau Translations, New York pour africagora